La corrélation banc à banc, sur plus de 10000 km2 de surface palinspastique, d'un faisceau de 10 bancs calcaires et interbancs marneux ([l], [2]) a été l'occasion exceptionnelle d'étudier, au sein d'horizons rigoureusement isochrones, la répartition des argiles sur l'ensemble du bassin vocontien au Valanginien supérieur. On savait déjà ([3], [2]) qu'entre bancs et interbancs composant ces alternances pélagiques, il existait dans la phase argileuse des différences supposées héritées de changements climatiques. Mais pour interpréter correctement ces variations, il convient d'éliminer les facteurs découlant de la zonation des apports et de la zonation diagénétique.
I. CARTES DE RÉPARTITION DES MINÉRAUX ARGILEUX. — Les argiles ont été analysées dans 7 bancs calcaires et 3 interbancs marneux homologues, échantillonnés en 17 coupes réparties sur l'ensemble du bassin. Quelques prélèvements complémentaires de contrôle ont été effectués dans 9 autres coupes.
La répartition des pourcentages des différents minéraux argileux dans les bancs et interbancs (fig. 1 et 2) montre clairement que les différences observées en fonction de la lithologie ne peuvent plus être considérées comme héritées, au Valanginien tout au moins, que dans les parties ouest et SW du bassin. Selon son axe en effet, et plus encore dans sa partie orientale proche des nappes, ainsi que dans l'arc subalpin de Castellane au SE, les différences entre bancs et interbancs se modifient tout en s'accentuant; elles sont dues à des transformations diagénétiques se rapprochant du type anchizonal à l'Est. Cette diagenèse fait évoluer peu à peu les associations minérales originelles vers des associations à chlorite et illite exclusives. Il s'ensuit que certaines interprétations récemment publiées deviennent partiellement caduques [4].
Dans les bancs (fig. l), l'augmentation très marquée des proportions de la chlorite vers l'Est démontre à elle seule l'origine diagénétique de ce minéral. L'apophyse dessinée par les lignes d'isopourcentages selon l'axe du bassin en est une autre confirmation. La carte de répartition de la smectite étant quasiment l'opposé de la précédente, il paraît clair que la chlorite provient en grande partie d'une transformation de ce minéral. En outre, il n'existe pas à l'Est, à cette époque, de reliefs dont l'érosion aurait pu alimenter un détritisme dominé par la chlorite. La kaolinite, minéral lui aussi sensible à la diagenèse profonde, disparaît également vers l'Est. On notera sur les bordures du bassin des zones d'apports bien délimitées, marquées par des teneurs relatives plus élevées. A l'Ouest, ces zones d'apports sont les mêmes que celles reconnues au Barrémo-Aptien [5], suggérant ainsi que les suspensions argileuses pénétraient dans le bassin par des voies bien précises et pérennes. La répartition de l'illite est plus délicate à interpréter, puisqu'il s'agit d'un minéral ubiquiste de la sédimentation et de la diagenèse. En outre, il faut craindre les relations induites dans tout raisonnement fondé sur des variations de pourcentages.
Dans les interbancs ( fig. 2), la répartition de la chlorite offre la même tendance que dans les bancs, mais les transformations paraissent moins accentuées. Il faut y voir sans doute l'effet d'une moins grande teneur originelle en smectite, mais aussi celui d'une moins grande sensibilité à la diagenèse, d'où la persistance de ce minéral dans des secteurs où, dans les bancs, il a déjà disparu.
La répartition de la smectite appelle deux remarques; d'une part ses proportionsaugmentent de la marge ouest vers le centre du bassin, ce qui reflète bien son comportementhabituel au cours de la sédimentation qui est de se déposer le plus au large en raison dela petite taille de ses cristaux. D'autre part, sa transformation en interstratifiés et sadisparition vers l'Est militent, comme dans les bancs mais à un degré moindre, en faveurde sa transformation en chlorite.
La kaolinite est plus abondante que dans les bancs, ce qui est en accord avec un détritisme plus accusé. Les apports à partir de l'Ouest sont particulièrement nets et dénotent la présence indiscutable d'un couloir privilégié canalisant l'influx terrigène vers les fonds.
La répartition de l'illite traduit une double influence: l'une sédimentaire, à l'Ouest, où la diminution de ses proportions vers le centre de la cuvette est corrélable avec l'augmentation des pourcentages en smectite (sédimentation différentielle), l'autre diagénétique qui la maintient à un niveau relativement élevé à l'Est.
II. DISCUSSION. — La chlorite des sédiments pélagiques valanginiens apparaît comme un indicateur certain de diagenèse, en raison de son gradient de concentration croissante vers l'intérieur de la chaîne alpine et des pourcentages atteints, jamais rencontrés dans des milieux au détritisme aussi faible. Notons à ce propos que les séries pélagiques néocomiennes des bassins océaniques actuels (forages du D.S.D.P.), restés à l'abri de toute influence orogénique, ne contiennent pas de chlorite sinon en très faibles quantités [6].
Cette diagenèse semble absente (interbancs) ou très discrète (bancs) dans la majeure partie du domaine ouest-vocontien; dans ce dernier seulement, les différences observées entre bancs et interbancs peuvent être considérées comme héritées et donc climatiquement contrôlées.
La sédimentation différentielle a joué également de manière indiscutable dans la partie ouest du bassin, notamment dans les interbancs moins touchés par la diagenèse. Ainsi l'illite, mais surtout la kaolinite, caractérisent la périphérie du domaine et la smectite le large.
EXPLICATION DE LA PLANCHE
Fig- 1. — Variation spatiale des pourcentages des différents minéraux argileux dans le banc calcaire n° 10: 1, affleurements actuels du socle cristallin; 2, coupes échantillonnées; 3, chevauchements; 4, limite entre les marno-calcaires hémipélagiques de plate-forme externe (hachurés) et les marno-calcaires pélagiques du bassin vocontien (en blanc); 5, sens des apports de kaolinite; 6, courbes d'iso-pourcentages.
La diagenèse transformé donc profondément le stock argileux initial, à l'aplomb de la partie axiale du bassin et, surtout, en direction des grands chevauchements alpins. Elle atteint le type anchizonal au front des nappes, mais ne s'accompagne pas de schistosité, simplement d'une évolution de la couleur des calcaires qui, de gris bleuté, deviennent gris brun puis noirs. Ni la surcharge sédimentaire ( 1 500 m au plus), ni une hypothétique surcharge tectonique ne sont capables d'expliquer cette diagenèse qui doit correspondre à des gradients thermiques localement élevés.
EXPLICATION DE LA PLANCHE
Fig- 2. —Variation spatiale des pourcentages des différents minéraux argileux dans l'interbanc marneux 8-9
Le fait que les calcaires semblent plus sensibles à cette diagenèse que les marnes doit, au moins partiellement, s'expliquer par la plus grande porosité originelle des vases carbonatées pélagiques, alliée à une lithification tardive permettant des circulations de fluides longtemps après le dépôt [7]. Les sédiments marneux, plus réfractaires aux transformations (persistance de la smectite et de la kaolinite) paraissent avoir constitué, de ce point de vue, un milieu plus fermé.
Une comparaison s'impose entre cette interprétation et celle avancée par Artru [8], à propos de la répartition des minéraux argileux dans la partie inférieure (Bajocien supérieur à Callovien inférieur) des Terres Noires du bassin subalpin. La kaolinite y diminue en proportion d'Ouest en Est, alors que la chlorite présente une évolution inverse; ces gradients, affectant des minéraux considérés comme détritiques, sont expliqués par la localisation de leurs sources respectives, ainsi que par le rôle de barrière joué par la dorsale dauphinoise. Un tel schéma mériterait d'être revu à la lumière de cette étude.
L'originalité de nos résultats est, in fine, de suggérer que les idées maintenant classiques (travaux de Kubler, Dunoyer de Segonzac, Artru...) selon les quelles le marqueur de la diagenése profonde est d'abord l'illite — la chlorite restant souvent subordonnée —doivent être nuancées. Pour les sédiments calcaires placés dans les mêmes conditions, le chemin des transformations peut mener préférentiellement vers la chlorite. D'autre part,des cas de diagenèse thermique montrent que celle-ci n'aboutit pas toujours à une amélioration de la cristallinité des minéraux index et que la chlorite peut se développer ou non ([9], [10]). Il n'est pas question de faire davantage ici que de présenter un cas.
III. CONCLUSIONS. — Nous avons pu étudier, à travers la totalité du bassin vocontien, la répartition des minéraux argileux dans des niveaux rigoureusement isochrones d'une série alternante marno-calcaire :
(1) Dans la partie ouest du bassin est préservée pour l'essentiel la variété des minéraux originels dont la repartition change du banc à l'interbanc (facteurs climatiques) et en fonction de l'éloignement des sources (sédimentation différentielle);
(2) en revanche, dans l'axe du bassin et croissant d'Ouest en Est, se révèle l'influence d'une diagenése, sans doute thermique, due à l'orogénie alpine;
(3) cette diagenése thermique a un double effet : elle développe considérablement la chlorite aux dépens de la variété des minéraux originels, notamment de la smectite; elle est beaucoup plus intense dans les calcaires que dans les interbancs argileux;
(4) la chlorite se révèle, dans ces séries carbonatées, comme le marqueur le plus sensible de la diagenése.
(*) Remise le 20 juin 1983.
[1] GREAL, 7-e R.A.S.T., Lyon. 1979, p. 232.
[2] P. COTILLON, S. FERRY, C. GAILLARD, E. JAUTEE, G. LATREILLE et M. RIO, BULL. Soc. géol. Fr., 5. 1980, p. 735-744.
[3] S. FERRY, 7- e R.A.S.T. Lyon, 1979, p. 189.
[4] P. COTILLON, S. FERRY et M. Rio, in R. BUSNARDO et coll. Les stratotypes français ; Hypostratotype mésogéen lie l'étage Valanginien, édition C.N.R.S.. Paris, 6, 1979, p. 30-32.
[5] S. FERRY. Doc. Lab. géol. Fac. Sc. Lyon, H.S. 4, 1978, p. 273-303.
[6] P. LEROY. Thèse 3-e cycle. Université de Lille, 1981, 134 p.
[7] G. MILLOT. Géologie des argiles. Masson, Paris, 1964, 499 p.
[8] P. ARTRU. Thèse. Université de Lyon, 1972. 173 p.
[9] M. CORREIA et R. C. MAURY, BULL. Centre Rech. Pau S.N.P.A., 9, n° 2, 1975, p. 245-259.
[10] P. SAUVAN et coll., BULL. Centre Rech. Pau S.N.P.A., 9, n 2, 1975, p. 261-351
Laboratoire de Sédimentologie, Departement des Sciences de la Terre
et Laboratoire associé au C.N.R.S , 11, Université Claude-Bernard,
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